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Le village de Bateshwar est situé à 70 km de la ville d’Agra, sur les rives - plus exactement sur la rive - de la rivière sacrée Yamuna. Au XVIIIème siècle le Maharajah Badan Singh y fit ériger une centaine de temples shivaïtes, 101 exactement paraît-il.
Badan Singh était un Jat. Actuellement, si ce terme recouvre en général le milieu agricole en Inde du Nord (Punjab et Rajasthan mais aussi au Pakistan, quand même 10 millions de personnes), il fait ici référence à un profond et ancien mouvement hindouiste qui ne cessa jamais de s’opposer au pouvoir musulman et particulièrement aux Grands Moghols. Ils sont mentionnés par les historiens en 1027 année où ils sont vaincu par Mahmoud de Ghazni et s’organisent en une sorte de république avec élection des chefs, rejet du système des castes, c’est assez rare pour être signalé. On peut situer leur zone d’influence dans la région de Mathura. Les persécutions religieuses d’Aurangzeb, le dernier Grand Moghol, semblent les galvaniser : pillage de la tombe d’Akbar en 1688, prise d’Agra en 1761 et Delhi en 1764. Il faut réaliser que le royaume Jat était une épine dans le pied du colossal empire moghol : la capitale des Jats, Bharatpur, est située à 220 km de Delhi et 60 km d’Agra. Il fallait être sacrément gonflé pour s’opposer de si près aux Moghols qui n’étaient pas spécialement connus pour être des tendres. Le royaume Jat s’effondrera en 1825 quand les Britanniques pilleront leur capitale et y imposeront leur loi.
Batheswar semble être signalée dans l'épopée du Mahabharata - selon certains érudits - mais ce n’est pas certain ; en fait les renseignements sont parcellaires et contradictoires pour tout ce qui concerne la région.
On débute par le temple Nath, le plus important. Les nātha sont liés à un ordre religieux et philosophique shivaïte fondé au Xe siècle et font partie de la tradition du yoga tantrique ésotérique. Sonnez la cloche pour vous annoncer; ne soyez pas timoré face à la divinité.
N'hésitez pas, ce ne sont pas les cloches qui manquent; on ne sait jamais, il y a des périodes d'affluence et ça évite les queues (que les Indiens pratiquent d'une manière très civilisée d'ailleurs).
Un problème ? Un Souhait ? Un voeu ? Demandez et tracez un swastika sur le mur. Si c'est exaucé vous reviendrez et vous tracerez un swastika inverse pour remercier et témoigner.
N'oubliez pas le maquillage. Il n'est pas anodin. La civilisation indienne repose sur les codes et les couleurs en sont d'importants vecteurs; rien n'est gratuit surtout si la chose nous semble surréaliste. Ignorer ces codes, ne pas tenter de les comprendre c'est passer à côté de beaucoup de choses.
Entretenez l'énergie du maître de ces lieux. Certains viennent de très loin pour l'honorer.
Donc 101 temples : le plus grand et le plus important que l’on visite en premier et 100 autres de tailles variables (la centaine est vue ici comme un ensemble dont les caractéristiques sont renforcées par ce nombre symbolique). Notez que 101 est le premier nombre premier à 3 chiffres ; de plus il est palindrome (pouvant se lire aussi bien de gauche à droite que de droite à gauche). Je sais, ça paraît tordu mais les Indiens ont de toute époque adoré les jeux mathématiques. Les fameux chiffres arabes viennent d'Inde (ce sont des lettres en réalité), le zéro aussi. Rendons à Vishnu ce qui appartient à Vishnu. Allez, ballade sur la rive de la Yamuna.
Shiva est le dieu du Yoga, des ascètes, le seigneur des lieux de crémation. Il se couvre de la cendre des buchers. Il est donc évident que ses temples soient blancs.
Quelques pélerins...
Bateshwar souffre de sa proximité avec Agra. On retombe sur un problème récurrent aux voyages en Inde (le voyage en général d'ailleurs): le temps. Ce problème est lié aux choix: évidemment vous êtes à Agra et vous allez voir le Taj Mahal; mais il y a d'autres choses à Agra même si la ville en elle-même est moche et sordide: le Fort, l'Itimad Ud Dula (beaucoup plus de touristes qu'il y a quelques années). Les environs d'Agra sont généralement négligés, faute de temps, je sais. C'est dommage car, comme par exemple à Bateshwar, vous vivrez une expérience humaine que le Taj Mahal, avec ses palanquées de touristes de toutes nationalités, ne peut désormais plus vous offrir. Les sites ont une poésie et une magie qui leur sont propres et qui sont très fragiles : la spécificité du tourisme de masse est de gommer toutes les aspérités et les spécificités humaines afin d'offrir un produit - horreur - standard et correspondant aux idées ou aux lectures des touristes.
Vous mangerez local évidemment et végétarien dans une des gargotes autour des temples.