INDE - RAJASTHAN - SHEKHAWATI - 1 - DES PEINTURES SUR LES MURS

Pour le voyageur...

l'Inde, c'est souvent beaucoup de couleurs, de fortes couleurs...

Le Shekhawati est une région à l'Ouest du Rajasthan. De mauvaises routes (5 h de Delhi pour 200 km, un grand classique), des terres pas trop cultivables, un pays pauvre. Les gens n'ont pas le choix: ils migrent; ici ils ont fait ou font encore marchands (il y a de très grosses fortunes indiennes qui sont originaires du coin) ou si on est très pauvre on fait soldat (vieille tradition guerrière rajpoute, 85% des troupes stationnées au Cachemire proviennent de la région; bon ça c'est parfois moins glorieux). La région (un triangle de 60 km de côté) fut autrefois un endroit stratégique et riche car située sur le chemin de la Route de la Soie (un tronçon secondaire mais quand même). C'est ce qui a fait la fortune de certaines familles du coin. Qui dit commerce dit caravane et qui dit caravane dit caravansérail. Il faut bien s'arrêter, se reposer, se divertir. Ici les caravansérails se nomment des havelis. Au départ, une pièce pour dormir, une pièce pour entreposer les marchandises en toute sécurité et un enclos pour les bêtes. Cela a vite évolué. Quand on a de l'argent, on le montre, il y a du prestige dans l'air. Les havelis sont devenues de vastes demeures familiales, des sortes de chateaux. Les villages du Shekhawati en regorgent. Les peintures sur les murs sont parfois simples...

Mais on est en Inde et ça peut se compliquer très rapidement.

Les maisons sont peintes à l'extérieur mais aussi à l'intérieur. A l'extérieur c'est un peu pour montrer qu'on est supérieur aux autres. "J'ai vu ce qu'on appelle  un train, moi, Monsieur. Je suis même monté dedans (personne n'ira vérifier). Moi j'ai vu un bateau, grand comme ça et toc ! Et moi j'ai même vu une voiture qui roulait sans chevaux !!" Le problème c'est que les peintres en 1920, dans cette région, n'avaient jamais vu de trains, d'automobiles ou de bateaux. Ça donne parfois des choses bizarres...

Le Shekhawati est une région assez traditionnaliste. Les bovins y sont les rois.

Une autre vision surréelle ramenée de voyages en Europe: lui, en dessous, c'est Jésus. Il fume une cleupe en attendant Judas, relax. Les fresques que l'on trouve sur les murs extérieurs des havelis nous permettent d'imaginer comment nous percevaient ces Indiens si exotiques durant leur voyage en Europe. Et bien de la même manière que nous: comme des gens vraiment bizarres et exotiques. Nous les avons peints, ils nous ont peints; de nos jours nous les prenons en photo et eux ont des portables parfois très performants et ils doivent toujours nous trouver vraiment étranges puisqu'il est très fréquent de se faire solliciter pour une pose photographique.

Vous avez remarqué: les fresques extérieures des maisons  en ont pris un certain coup. Originellement elles étaient peintes à fresco (qui osera écrire un livre très érudit sur l'influence de la renaissance et du baroque italien sur la peinture indienne du début du XXème siècle ? Je vous rassure personne, le titre n'est pas vendeur.) mais les moussons, l'humidité, le soleil, le manque d'entretien font que ces peintures disparaissent rapidement. Les voies commerciales se sont modifiées; il y a bien longtemps que les havelis ne sont plus utilisées. Les riches familles sont parties pour New Delhi, Mumbai ou Calcutta. Beaucoup de havelis ont été détruites (parfois volontairement par profit, d'autres fois par négligence ou ignorance). C'est une vision du monde qui peu à peu s'efface.

Les havelis se sont vite transformées en maison familiale, aussi. On a donc créé deux espaces: une cour publique réservée au commerce, aux relations avec l'extérieur et une seconde cour  qui créait un espace privé uniquement réservé à la famille. Tous les murs intérieur étaient évidemment peints (ils sont généralement mieux préservés). Ici on ne cherche plus à impressionner autrui en racontant ses voyages. Les sujets sont principalement religieux (Krishna, Ramayana, Mahabarata, les grandes épopées sont mises à contribution). On commence par le plus important car c'est ce qui donne la première impression : la porte.

Quelques détails...

L'éventail en métal sur la gauche indique qu'il y a eu une fille de mariée dans la famille.

Une idée de la cour intérieure familiale vue du toit. Les structures disposées sur le toit créent des courants d'air permettant de mieux supporter la canicule des mois d'été.

Evidemment il n'était pas interdit de rapporter des objets prestigieux des escapades européennes. C'est à qui épaterait le village par l'achat de gadgets. On imagine des airs d'opéra joués dans ces villages.

De jeunes artistes se sont emparés de la tradition des maisons peintes et en ont réactualisée la pratique. Le tourisme commence à être vu comme une possible source de revenus. Attention on en est encore aux prémices de cette activité et il faudrait que les peintures ne disparaissent pas trop vite.

On s'aperçoit ici ci-dessous des ravages du temps. Toutes les maisons de la rue principale sont dans cet état. Ce n'est pas une haveli. C'est un ancien bordel comme toutes les maisons de la rue. Quand les caravanes se sont rarefiées les bordels ont fermés.

Nous finirons par une série de portraits pris dans la région; au programme moustaches pour les garçons et voiles pour les filles. Attention, le voile porté par les femmes du Rajasthan ne doit pas être assimilé au voile musulman. Pour les Indiens le purdah servait à protéger les femmes des envahisseurs musulmans. Il était aussi lié à une forme de claustration de celles-ci toujours justifiée par la protection des femmes. On peut y voir aussi un phénomène d’imitation des maîtres, je sais c’est moins glorieux. Réservés aux castes guerrières dirigeantes ces pratiques se sont étendues aux commerçants bourgeois puis aux milieux paysans.  De nos jours cette pratique persiste dans les campagnes du Nord de l’Inde.